L’I.A. est un vaste sujet qui fricote avec les extrêmes. D’un côté c’est gadget, de l’autre c’est fascinant… autant qu’effrayant.
Côté gadget : le compagnon du quotidien que c’est supposé être. Ou devenir. On pose une question, ça répond, bien. Comme un moteur de recherche, plus rapide mais moins pertinent. Sur un Google ou autre, en un clin d’œil je peux étudier plusieurs points de vue. Au moins deux opposés ! La thèse et l’antithèse, et j’en fais moi-même la synthèse.
L’I.A., elle, donne SA réponse, définitive, dont il faut se contenter. Lorsqu’elle ne répond pas absolument n’importe quoi.
(L’expérience de l’I.A. Française « Lucie » a tourné au fiasco dès lors que les utilisateurs ont repéré certaines réponses totalement absurdes).

–– Nota Bene : Depuis quelque temps, j’ai cessé de m’émouvoir à l’arrivée d’une nouvelle technologie. Je m’y intéresse sans paniquer. Au bout de la cinquantième semaine où on nous annonce encore la nouvelle évolution I.A. qui va chambouler la planète entière, on finit par se calmer ––
L’autre versant est bien plus sérieux. Le jour et la nuit ! Utilisation dans la recherche, les maths, compilation d’infos (comptes-rendus de réunions, articles…), aide à l’écriture, transcription, code, création d’images, de vidéos, de musiques de plus en plus bluffantes. Le tout au cœur d’une courbe ascendante, tendant pour l’heure à l’exponentiel.
Que faut-il craindre alors ?
L’idée d’une supra-conscience qui lutterait contre l’humanité (cf. le skynet de la saga Terminator) semble assez farfelu. Certes ! Mais la possibilité d’un hacking géant qui pourrait détruire, ou à minima ébranler très sérieusement l’Internet mondial… est un vrai risque, sérieusement étudié.
Et nos métiers dans tout ça ? Nos passions, loisirs, façons de communiquer ?
Allons-nous tous devenir des zombies chômeurs ?
(A moins qu’on le soit déjà, en ce cas rien de nouveau sous le soleil)
Sans aucun doute, le domaine de l’emploi va évoluer. Peut-être plus vite et plus fort que de coutume, mais il en a déjà été ainsi en différentes époques. Lors de la révolution Internet, la donne avait déjà changé. Et puis la révolution industrielle, les moyens de transport, la mondialisation…
Il n’existe plus de dactylos, de cireurs de chaussures ou de ramoneurs. De nombreux nouveaux métiers se sont créés, de nombreux autres se créeront. Bien d’autres ont disparu, disparaissent… disparaîtront !
Certains s’emballent, s’affolent. Un simple regard en arrière nous apprend qu’à chaque phase fortement évolutive l’inquiétude était présente. Parfois à raison, parfois à tort. En tout cas nous avons toujours assez bien survécu.

Alors, remplacerons-nous nos amis, collègues et connaissances par des machines avec lesquelles nous dialoguerons ?
Deviendrons-nous oisifs, à faire rechercher toutes les solutions par des programmes, sans plus jamais faire d’efforts ?
Sans doute pas.
Tout d’abord car l’humain n’est pas prêt à tout accepter. La technologie propose, le consommateur dispose. Quelques exemples…
… Les casques V.R., lancés dans les années 90, puis oubliés, puis réapparus il y a peu.
… Le jeu Second Life, qui était quasiment censé nous faire vivre dans un univers parallèle.
… Le MetaVerse de Facebook.
… Plus récemment la prise de rendez-vous par I.A., un logiciel capable d’appeler un coiffeur pour fixer à votre place un jour et une heure.
Tous ces projets sont tombés à l’eau, ou restés assez confidentiels (connaissez-vous beaucoup de gens possédant un casque V.R. ?).
Pourquoi ? Tout bonnement car l’humain est un animal social. Au-delà de toute technologie, il a besoin de contact. Que ce soit amical, sexuel, amoureux, familial, cordial… Un androïde pourrait un jour acheter le pain à notre place ? On s’en fout, ce qu’on veut c’est saluer la boulangère.
L’I.A. « Humanisante » va surtout créer un nouveau phénomène de sélection naturelle. Oui, ceux qui sont enfermés dans leur cocon, pour certains, le seront encore plus. Oui, les neuneus tricheront pour certains examens, ou concours. Et encore !
Mais l’écrasante majorité d’entre nous recherche du contact. Réaliser des choses par soi-même, parler, agir, se rencontrer, interagir. Gravir des échelons par ses propres réflexions, grimper en compétences grâce à son investissement personnel et être fier de soi. Quelle machine serait capable de produire cela ?
Et c’est pour cela que l’évolution technologique pourrait bien, paradoxalement, nous ramener à notre humanité. A davantage d’humanité. Comment ? Par système de vases communicants : ce qu’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre. Les métiers basés sur le calcul, les données, le distanciel… se perdent ? Les activités, professionnelles ou non, basées sur le rapport à l’autre, vont donc y gagner.
C’est mon constat dans mon activité professionnelle principale (prestations de chimie amusante pour des structures et particuliers). Pourquoi les parents ne montrent pas eux-mêmes à leurs enfants qu’on peut éteindre une bougie avec un mélange vinaigre + bicarbonate ? L’astuce est simple à trouver sur Internet, facile à reproduire. Non, ils préfèrent faire appel à quelqu’un.
Pourquoi ? Pour le rapport humain : l’animateur amène sa propre dimension. Il raconte une histoire, fait des blagues, crée un suspense, est attentif à chacun. Il mène chaque activité par un jeu de paroles, de regards, avec une interaction permanente. Ce qu’aucun tuto YouTube ne pourra jamais faire. L’effet d’une expérience de sciences ludiques n’est presque rien sans cela, même pour les résultats les plus épatants.
C’est encore mon constat quand je dessine. Pour aimer le faire dans le métro, cela a occasionné des dizaines de petites rencontres d’instants avec des inconnus. Les collages street-art sont également un nombre quasi constant d’échanges, même (et surtout ?) en allant coller seul.

Les applications telles TimeLeft (dîner avec des inconnus, sans esprit « dating ». J’y suis, je recommande) et d’autres concepts du même style en sont d’autres preuves.
Et enfin je m’en rends compte, bien entendu, pour le projet Symbiose. Peut-être les logiciels d’aujourd’hui seraient capables d’appliquer des body-paintings sur des corps, avec un résultat 100 % réaliste. Peut-être qu’on ne parviendrait même plus à faire la différence avec les photos réelles. Après tout pourquoi pas ? Les familles enverraient leurs photos de vacances, naturistes ou textiles, choisiraient des motifs sur catalogue et on leur posterait le rendu par eMail. Voire ils feraient eux-mêmes car ça se générerait automatiquement.
Sauf que…
Ça n’intéresserait personne et ça n’aurait aucun intérêt.
Tout cela nous ramène au cœur de ce qu’est une démarche artistique.
Plus une œuvre implique de partis, plus elle est complexe. Et humaine. Plus elle est humaine, plus elle peut en être fallacieuse. C’est aujourd’hui ce qui paraît de plus en plus au grand jour.
Quelles réelles valeurs de panache peut-on mettre dans l’adaptation d’un Cyrano de Bergerac au cinéma ? En quoi est-ce authentique si des figurantes sont humiliées sur le tournage par un Depardieu graveleux ? Voire pelotées de force ?
Que devient toute la puissance de Guernica quand on connaît la vraie personnalité de Picasso ?
Que valent désormais toutes les belles paroles de l’abée Pierre, qui à l’époque nous avaient tant touchées ?
Là, on sort du domaine de l’art. Mais l’idée reste pourtant la même ! En fait, toute création, parole, action, doit être en recherche de cohérence. En phase avec le propos, même si rien n’est jamais parfait.
Si les coulisses révèlent des valeurs inverses, la plus belle des chansons deviendra inécoutable (coucou Bertrand Cantat).
Nota Bene : le pire est lorsqu’on songe que tout ceci est la partie visible de l’iceberg. Combien de belles créations sont en fait liées à des histoires douteuses, voire sordides ?
Pour en revenir à ce site (car oui, il y a un lien !) : c’est pour toutes ces raisons que le projet Symbiose existe. En fait, cela va peut-être en surprendre certains, mais à la base l’art n’est pas forcément mon idée première. Lorsque j’ai lancé la démarche, je n’étais pas un artiste frustré. J’écrivais déjà beaucoup, je dessinais des feuilles, peignais des toiles.
Par contre j’étais, comme beaucoup d’autres artistes, un peu « artiste-autiste », beaucoup trop renfermé. Les vacances n’étaient pas pour moi évidentes : en principe, l’occasion de sociabiliser… mais cela peut aussi mener à davantage de solitude.
( L’idée comme quoi un lieu naturiste serait plus convivial et accueillant qu’ailleurs est une légende ! Les règles sont les mêmes partout, celui qui va de l’avant et trouve un moyen de sociabiliser… sociabilise. Les autres sont laissés sur le carreau. )
Body-painter et photographier des vacanciers fut donc le moyen de créer un nombre incroyable de belles expériences, de contacts et d’interactions. Et aussi de considérer une œuvre non pas seulement via son résultat. Le résultat n’est pas le tout, non. La fin ne justifie pas tout moyen. Voire même, la « fin » n’est alors pas une fin mais un « moyen ». Comprenne qui pourra 🙂

La création ne débute pas au premier trait de feutre : elle débute lors de la rencontre entre le body-painteur et le body-painté. Parler du concept, échanger autour de tout et de rien, puis de ce qu’on va faire. De quel temps dispose-t-on, motif, couleurs, séance photos, lieu, style…
Puis : débuter le dessin, échanger encore, réfléchir à des spots, proposer telle ou telle pose. Le tout dans un commun accord, avec une recherche de complicité, de compromis.
(Qui fait mouche la plupart du temps, à différents niveaux, de différentes manières. Parfois sans plus, et ce n’est rien, aucun jugement à avoir, ça fait partie du jeu. Et il faut jouer le jeu, et être bon joueur.)
Puis échanger autour de la feuille d’autorisation, envoyer les photos, parfois aller boire un verre ensuite, se saluer les jours suivants, avoir quelques échanges supplémentaires.
Le plus naturellement du monde, sans se forcer. Sans déployer d’incroyables techniques de communication ou des talents de sociabilité. Sans avoir lu des bouquins sur le sujet ou suivi des méthodes miracles vendues sur Internet à prix d’or. En acceptant aussi d’avance que l’autre ne soit pas forcément causant, et que ce n’est pas grave !
Et tout cela fonctionne bel et bien, car somme toute c’est aussi ce que chacun recherche : la dimension humaine. Le vacancier tenté par la démarche, avant même l’art, est intéressé par le principe. C’est aussi ce qu’il recherchera en participant à un atelier, un cours, un concert, un jeu proposé par le domaine.
Par extension, je pense que c’est via cet état d’esprit que nous saurons rester humains face à l’I.A. Et même, en étant un peu malins : l’I.A. sera un levier pour développer davantage notre humanité. Tout métier, loisir, passion, activité liée au rapport humain sera ainsi amenée à se développer davantage. Avec d’autant plus de facilité que la technologie nous offrira peut-être plus de temps libre qu’autrefois (du temps où nous trimions tous au champ, nous n’avions pas le temps de philosopher !).
Car un robot à tout faire ne pourra jamais égaler la force d’un regard ou d’une parole, d’une vraie personne, face à nous.
Continuons à développer cela ! Nous aurons tous à y gagner.